Dans le monde du bâtiment, de l’immobilier et des litiges techniques, le recours à un expert est souvent inévitable. Mais encore faut-il choisir le bon. Pas seulement pour ses compétences ou ses titres, mais surtout pour son impartialité. Ce mot, souvent galvaudé, devrait pourtant être la pierre angulaire de toute mission d’expertise.

Je suis expert assermenté auprès des juridictions, ce qui signifie que j’ai prêté serment au tribunal. Ce serment engage à exercer mes fonctions avec honnêteté, objectivité et rigueur. Il ne s’agit pas d’un simple titre honorifique. Il implique une responsabilité importante : celle de rendre un avis éclairé, fondé et indépendant. Malheureusement, je constate trop souvent des dérives. Trop d’« experts » (ou prétendus tels) se permettent de rendre des jugements personnels, sans vérification sérieuse, sans référence aux normes, et parfois même sans écouter les personnes concernées.

Car oui, un véritable expert, ce n’est pas un oracle, ni un juge autoproclamé. Nous ne sommes pas infaillibles. Nous ne savons pas tout. Il est de notre devoir d’écouter les parties, d’analyser leurs arguments, de vérifier leurs dires et de nous remettre en question. Un bon expert est un professionnel rigoureux, pas un Dieu tout-puissant. Et surtout pas un donneur d’avis à l’emporte-pièce.

Un jour, lors d’une expertise conjointe sur le travail d’un peintre, un autre expert présent a observé le mur et déclaré d’un ton sec : « Ce n’est pas bon. » Point. J’ai dû le prendre à part et lui dire : « Vous ne pouvez pas affirmer cela de cette manière. » Oui, le travail était critiquable si l’on se réfère à telle ou telle norme. Et c’était effectivement le cas. Mais ce que je ne peux pas accepter, c’est cette façon d’asséner un jugement sans analyse, sans fondement, sans respect pour la rigueur que notre métier exige.

J’en ai vu ignorer des documents de référence pourtant essentiels : normes ISO, EN, DTU, CSTB, DIN, NIT, CSTC… Nous sommes au Luxembourg, à la croisée de plusieurs cultures techniques et réglementaires. Il est possible d’être conforme à une norme française et pas à une allemande, ou inversement. Ce n’est pas pour autant que l’exécution est mauvaise. Cela demande une compréhension du contexte, une capacité d’analyse et une connaissance des référentiels utilisés dans la pratique.

Il est temps de remettre de la rigueur dans la mission d’expertise.

Personnellement, l’expertise ne constitue qu’une petite partie de mon activité. Je suis avant tout architecte, en prise directe avec les chantiers, les contraintes techniques, les attentes des maîtres d’ouvrage, les difficultés rencontrées sur le terrain. Je sais ce que représente un avis d’expert : il peut peser lourd dans un dossier, déclencher des travaux coûteux, influencer un jugement ou nuire à une réputation. C’est une responsabilité immense, qui exige humilité, justesse, et surtout, des fondements solides.

Et c’est pour cela que certaines pratiques sont tout simplement inacceptables. J’ai vu, dans plusieurs rapports, des prises de décision totalement erronées, menant à des recommandations de travaux coûteux… qui ne répondaient même pas à la cause réelle du problème. Ce type d’erreur, souvent évitable par une analyse plus poussée ou une meilleure écoute du terrain, peut avoir des conséquences dramatiques pour un propriétaire ou une entreprise.

Je le dis aussi en toute honnêteté : en tant qu’architecte, et en tant qu’être humain, il m’est arrivé de faire des erreurs. Comme cela arrive aussi aux entreprises avec qui je travaille. Nous sommes faits de chair et d’os, pas de certitudes absolues. L’erreur peut exister, et il faut savoir la reconnaître. Mais ce que je n’accepte pas, ce sont ces interventions expéditives, souvent de la part de soi-disant « sachants », qui affirment avec assurance : « ce n’est pas bon », sans aucune explication, aucun fondement technique, aucune référence. Ce n’est pas sérieux. Et ce n’est pas acceptable.

Je sais que je ne vais pas me faire des amis en disant cela. Mais je préfère me faire respecter pour mon honnêteté plutôt que pour mon silence.

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